8

 

Dès que l’Ancien eut fini de cracher son venin, je m’arrachai à ma stupeur et sentis la fureur flamber en moi. Je décidai de lui laisser libre cours, le menton relevé en une attitude de défi.

— Ceci ne peut pas être le Conseil des Anciens ! lançai-je d’une voix sifflante. M’offre-t-on de l’eau fraîche pour me désaltérer, de la nourriture pour me remplir le ventre ? Où est le siège qui me permettrait de me reposer des fatigues d’un long voyage ? Et l’eau dans laquelle je pourrais purifier mes mains et rendre grâce à la divinité qu’il me plaît d’invoquer ?

Je marquai une pause et laissai mon regard s’attarder sur les rangs de l’assemblée pour conférer plus de poids à mes paroles.

— Me voilà devant vous, repris-je d’un ton amer, dans ce qu’on me dit être le Cœur des Plaines, et devant ce qui est censé être le Conseil des Anciens. Mais où sont la courtoisie et le savoir-vivre du peuple de la Grande Prairie, que j’ai appris à connaître et respecter ? Nulle part !

Je tremblais à présent de fatigue et de colère. Je savais que, d’un instant à l’autre, je risquais de m’effondrer, aussi faible qu’un poulain nouveau-né. Il me fallait sortir. Je refusais d’offrir aux Anciens le plaisir de me voir dans cet état. Puisant dans d’ultimes réserves d’énergie, je tournai les talons, marchai à grands pas vers la sortie et quittai le pavillon du Conseil.

Avec une énergie nouvelle née de la colère, je me lançai au hasard dans la ville. Fort heureusement, il existait de grandes voies de circulation entre les tentes. D’instinct, je choisis la plus large et me mis à déambuler, perdue dans mes pensées. Dans ce qu’avait dit cet Ancien, il n’y avait rien qui n’ait été mensonge ou exagération. Comment avait-il osé parler de moi – et donc de Keir – en ces termes ?

Étouffant de rage et riant à la fois, j’inspirai à fond pour tenter de me calmer. Mon tempérament colérique avait fait autrefois le désespoir de mon père. Toujours prêt à resurgir, il se déchaînait en un instant, pour se calmer tout aussi vite une fois l’accès de violence passé.

Tous les conseils possibles et imaginables pour m’aider à me maîtriser, mon père me les avait donnés. « Respire ! me recommandait-il sans cesse. Retiens ta langue. Pense à ce que tu vas dire avant de parler. » Des conseils avisés, en somme, que je n’avais jamais été capable de suivre.

Mon pas m’entraînait à vive allure le long de l’avenue dans laquelle je m’étais engagée. Il fallut le bruit d’un chahut et des rires d’enfants pour me ramener à la réalité.

Sur ma droite se dressait une grande tente devant laquelle brûlait un feu qui servait à cuisiner. Tout autour, quelques hommes et femmes s’efforçaient, sans grand succès, de ramener le calme dans un groupe de jeunes enfants avant le dîner. De tous âges, les gamins riaient, pris dans un jeu qu’eux seuls paraissaient comprendre. Un jeune homme, guère plus âgé que Gils, se désespérait de ne pouvoir verser l’eau purificatrice sur les petites mains sans cesse en mouvement.

Alertée par le raffut, une femme plus âgée apparut sur le seuil de la tente. D’un coup, les enfants se retrouvèrent bien alignés, le sourire aux lèvres et la mine innocente, les mains tendues pour le rituel.

Ce spectacle m’arracha un sourire, et avec ce sourire, un peu de ma colère s’envola. Ma curiosité naturelle prit le dessus, et je lançai autour de moi des regards intrigués. C’était donc cela, le fameux « Cœur des Plaines » cher à tous les Firelandais…

Je repris ma déambulation en prêtant plus attention à ce qui m’entourait. Manifestement, chacun se préparait pour le repas du soir. Les lumières illuminaient les tentes de l’intérieur. Entre celles-ci brûlaient de grands feux enterrés dans le sol, foyers autour desquels les gens cuisinaient, mangeaient, discutaient et riaient.

Un étrange sentiment de familiarité m’envahissait. Tout était semblable à la vie que j’avais connue au royaume de Xy… et en même temps, tout paraissait différent. Contrairement aux traditions qui avaient cours chez moi, les couleurs étaient ici partout présentes, et nul ne semblait se soucier de respecter quelque convention ou quelque rang social que ce soit. Les hommes cuisinaient, tout comme les femmes, et il y en avait même pour s’occuper des jeunes enfants.

Mais il y avait davantage que cela pour me dépayser. Il flottait dans l’air des fumets de viandes grillées parfumées d’épices et d’aromates qui m’étaient inconnus. Aucune construction ni sommet escarpé ne se lançait à l’assaut du ciel. Autour de moi, les tentes allaient du petit abri sommaire aux structures vastes et élaborées semblables à de petits palais de toile.

Pour ce qui était de l’habillement, l’éventail était plus large encore et passait de l’équipement complet du guerrier à la totale nudité de certains. Tous, du plus jeune au plus âgé, du plus beau au plus laid, semblaient à l’aise avec leur corps. Mais, habillé ou non, chacun portait au moins une arme. Même les plus petits arboraient fièrement des dagues de bois à leur ceinture.

Absorbée comme je l’étais par mes observations, il me fallut un bon moment pour me rendre compte que j’étais moi aussi l’objet d’une attention soutenue. Par expérience, je savais qu’aux yeux des Firelandais le fait de me promener sans arme faisait de moi un phénomène.

Rattrapée brutalement par le mal du pays, je soupirai longuement. Tout me manquait : l’immense cuisine d’Anna, surchauffée et pleine d’odeurs ; ma vieille chambre au lit étroit, dont la fenêtre donnait sur les toits de Fort-Cascade. Cette nostalgie eut raison de mon courage retrouvé. Les jambes soudain lourdes, je traînai des pieds pour reprendre mon errance dans cette ville étrangère.

— Continuez tout droit, me conseilla soudain la voix de Keekaï derrière moi. Je vais vous guider jusqu’à ma tente.

Je m’arrêtai pour l’attendre. En un instant, elle fut à côté de moi, le visage serein et les yeux emplis de sympathie. Soudain consciente que je venais d’insulter gravement le Conseil des Anciens, dont elle faisait partie, je me sentis rougir jusqu’à la racine des cheveux.

Avec un soupir, j’ôtai mon casque. Mes cheveux retombèrent sur mes épaules et le vent vint rafraîchir agréablement mon cuir chevelu.

— Keekaï… commençai-je d’un ton désolé.

— Pas maintenant, coupa-t-elle en m’indiquant le chemin d’un geste de la main. Nous y sommes presque.

Nous reprîmes notre marche en silence. Autour de nous, la pénombre gagnait et les étoiles, dans le ciel, se faisaient plus brillantes. Après avoir bifurqué dans une allée, nous arrivâmes à une tente qui pouvait rivaliser, par la taille, avec la tente de commandement de Keir. Des guerriers apparurent à notre approche et relevèrent les portes de toile pour nous laisser entrer.

Keekaï me conduisit dans une petite alcôve à l’écart de ce qui ressemblait à une zone de réception. Un lit couvert de fourrures, de couvertures et d’oreillers, le tout dans des déclinaisons de brun, de rouge et d’or, en occupait la majeure partie. Sur une petite table à la tête du lit, une lampe ronde et basse en terre cuite, aux parois ajourées, abritait une flamme vive et claire.

D’un grand geste, Keekaï désigna la pièce et déclara :

— Pour cette nuit, acceptez mon hospitalité, Captive.

Avec un soupir de soulagement, je m’assis sur le lit et ne protestai pas quand Keekaï me prit le casque des mains. Passant ensuite à la cuirasse, elle m’aida à m’en défaire. Quitter enfin mes bottes fut pour moi un immense soulagement.

Keekaï frappa ensuite dans ses mains, et un guerrier fit son entrée avec un pichet d’eau et une bassine. Je tendis mes mains et murmurai une courte prière à la Déesse tandis qu’il les arrosait. Ce rite achevé, on m’apporta une timbale et un bol de gurt. Portant prudemment la timbale à mes lèvres, je bus avec délices le lait chaud et délicatement parfumé qu’elle contenait.

— Vous avez eu parfaitement raison, lança Keekaï en me regardant faire.

Je grimaçai et m’étonnai :

— J’ai bien fait d’insulter le Conseil des Anciens et de m’enfuir comme une gamine ?

Ses yeux pétillèrent de malice quand elle me répondit :

— Vous avez bien fait de réclamer ce qui vous était dû selon nos usages.

Je ne trouvai rien à répondre à cela et me contentai de cligner des paupières.

— Que vais-je bien pouvoir faire, Keekaï ? demandai-je avec découragement. Ils me détestent !

— Vous allez dormir. Demain matin, vous mangerez, et ensuite… nous aviserons.

Sur un geste d’elle, ses aides de camp tirèrent de lourdes tentures pour fermer l’alcôve dans laquelle je me trouvais.

Avant de me laisser pour la nuit, Keekaï se retourna pour me faire face et me dit :

— Il y a une chose que vous ne devez pas perdre de vue, Lara. Ils vous ont écartée de Keir afin que vous ne soyez plus sous son influence et que vous puissiez vous décider librement – du moins officiellement. Mais, ce faisant, ils vous ont également privée de son soutien. Et ce soir, vous avez fait la preuve que vous n’aviez pas besoin de lui pour tenir debout et vous affirmer. Alors, ne soyez pas si sûre d’avoir commis une erreur.

Elle fit mine de s’éclipser, mais marqua une nouvelle pause et ajouta par-dessus son épaule :

— Je dois vous dire cette vérité, Fille du Sang de la Maison de Xy. Je ne pense pas que j’aurais été capable de faire ce que vous avez fait. Jamais je n’aurais pu tourner le dos à la Grande Prairie et laisser derrière moi tout ce que j’aime et tout ce que j’ai toujours connu.

Sur ce, elle disparut de l’autre côté des tentures.

Rassérénée par ses paroles, je bâillai et m’étirai. Étant donné que je n’avais pas encore récupéré mes affaires, je me contentai d’ôter ma tunique et mon pantalon. Trop épuisée pour demander à faire un brin de toilette, je me contentai de tirer sur moi fourrures et couvertures avec un soupir de bien-être. Ce qui était arrivé était arrivé, et j’étais trop fatiguée pour penser à l’avenir.

La dernière chose que j’aperçus avant de sombrer dans le sommeil, ce fut la lampe trapue, à mon chevet, au sein de laquelle dansait une petite flamme réconfortante.

Je m’éveillai tard, et sortis de mon lit plus tard encore. Il fallut les demandes pressantes de mon corps et une soif intense pour me convaincre de me lever.

Pendant que je dormais, mes bagages avaient été apportés dans l’alcôve. Au sommet de la pile trônait ma sacoche de premiers secours.

Assise au bord de mon lit, nue, une couverture pressée contre moi, je réfléchis un instant à la suite des opérations. Puis, sur un coup de tête, je tapai dans mes mains et attendis.

Il y eut du mouvement à l’extérieur, une main entrouvrit les tentures, et dans l’entrebâillement apparut la tête d’une femme qui me considéra d’un air interrogateur. Je lui souris et lui dis ce dont j’avais besoin, en songeant que je pourrais très rapidement m’habituer à ce traitement.

En un rien de temps, j’eus de l’eau pour faire ma toilette et un bol de kavage pour achever de me réveiller. Je me lavai rapidement, tout en regrettant la salle de bains rudimentaire mais astucieuse et pratique de la tente de commandement de Keir.

Une fois séchée, j’allai tirer de mes bagages une tunique et un pantalon propres. En fouillant dans mes sacoches de selle, j’entraperçus un tissu rouge vif qui amena aussitôt à ma mémoire des souvenirs précis.

La robe était rouge. Un rouge lumineux, intense… et terriblement indécent.

Marcus me gratifia d’un regard luisant de fierté.

— C’est-y pas magnifique ? s’écria-t-il.

Au même instant, Keir pénétra dans la tente et pila net. Il écarquilla les yeux de surprise, tandis qu’une expression de plaisir éclairait son visage.

— Feu du Ciel ! s’exclama-t-il en me parcourant d’un regard étincelant.

Je me remémorai en souriant ce moment, et le désir non déguisé que j’avais lu dans les yeux de Keir. Curieuse, je tirai le vêtement de ma sacoche. La robe était exactement telle que je me la rappelais, avec son encolure haute, ses manches longues et sa jupe ample. Une fois encore, je m’émerveillai de sentir l’étoffe fluide glisser sur ma peau, en une caresse infiniment douce, presque sensuelle. Elle n’était pas du tout froissée, alors qu’elle était restée pliée pendant des jours au fond de cette sacoche.

Marcus avait même pris soin de joindre à la robe les mules assorties. Et dans un repli du vêtement, je trouvai deux lourds bracelets d’argent.

Un coussin bleu, que je n’avais jamais vu, avait été placé au pied du trône. Je fis halte et m’agenouillai lentement. De part et d’autre du coussin se tenaient deux pieds bottés solidement plantés sur le marbre. Je pris soin de garder les yeux baissés.

Puis je levai les mains avec lenteur, paumes offertes, et attendis, docile, la suite des événements.

L’assemblée autour de moi avait suspendu son souffle. Des doigts se posèrent à la base de ma nuque, remontèrent vers mon crâne et dénouèrent ma chevelure, qu’ils caressèrent avant de la laisser tomber librement sur mes épaules. Je frémis à ce contact.

Du métal froid encercla soudain mes poignets et fut fixé dans un déclic sonore. À ma grande surprise, je constatai qu’il s’agissait de lourds bracelets d’argent. Où étaient les chaînes dont Xymund avait parlé ?

Puis une voix mâle s’éleva au-dessus de moi et déclara dans ma langue :

— Par ce geste, je revendique ma Captive.

Le souvenir avait gardé toute sa fraîcheur. Je n’avais rien oublié de ce que j’avais ressenti lorsque je m’étais agenouillée sur ce coussin, devant le redouté Seigneur de Guerre firelandais, pour me livrer à lui. Je me rappelais également parfaitement que j’avais fini par lever les yeux pour plonger mon regard dans celui de Keir, d’un bleu étincelant. Bien que terrifiée, perdue, humiliée, j’avais trouvé l’amour dans ses yeux et entre ses bras. Et depuis, nous avions surmonté tant d’obstacles, tous les deux…

En serrant la robe contre moi, je décidai qu’il en irait de même pour ceux qui nous attendaient.

 

— Avez-vous bien dormi ? me demanda Keekaï.

D’un geste, elle m’invita à prendre place face à elle, de l’autre côté de la table basse devant laquelle elle était installée. Nous nous trouvions dans une partie de sa vaste tente que je ne connaissais pas encore – sans doute ses quartiers privés.

Elle tapa dans ses mains, et en quelques instants nous fûmes entourés de ses aides de camp qui s’employèrent à installer sur la table notre petit déjeuner.

Tout aussi vite qu’ils étaient apparus, ils s’éclipsèrent, nous laissant seules.

— J’ai très bien dormi, répondis-je. Je vous remercie de votre hospitalité. Le lit était très confortable.

Je tendis la main vers le kavage et ajoutai :

— Quelle heure est-il ?

— Plus de midi, répondit-elle en haussant les épaules. Je n’ai pas vu l’utilité de vous réveiller plus tôt. Nous avions toutes deux besoin de sommeil.

Elle se pencha vers moi et ajouta sur le ton de la confidence :

— Je suppose que nous aurons un message du Conseil avant que le jour ne s’achève.

Je pris un petit pain plat et rond dans une corbeille, puis me servis d’un curieux plat de viande auquel mon hôtesse avait amplement fait honneur.

— J’imagine fort bien quelle en sera la teneur, dis-je en examinant la viande en sauce.

L’odeur qui me montait au nez était appétissante. Je trempai un bout de pain dans la sauce et le ressortis pailleté de curieux éclats rouges. Sans me méfier, je le fourrai dans ma bouche… et faillis le recracher aussitôt.

Mon palais et ma gorge étaient en feu. Je m’empressai d’avaler et de noyer l’incendie sous de larges rasades de kavage. Des larmes plein les yeux, j’adressai à Keekaï un regard de reproche.

— Désolée, s’excusa-t-elle, penaude. J’aurais dû vous prévenir. J’aime ma nourriture épicée. Goûtez plutôt ça, vous m’en direz des nouvelles !

Elle poussa devant moi un bol empli d’une pâte épaisse et crémeuse. Redoutant d’avoir affaire à quelque forme liquide du gurt, j’y trempai un nouveau bout de pain et le goûtai prudemment. Je fus agréablement surprise. La texture était agréable, et le goût rappelait celui de la noisette.

— Effectivement, approuvai-je en hochant la tête. C’est bien plus à mon goût.

Cela fit rire Keekaï, qui s’accouda à la table et me dit :

— Alors, régalez-vous pendant que je vous parle du Conseil et de ses membres.

En hochant la tête, je m’empressai de lui obéir.

— Le vieil imbécile qui vous a si bien « accueillie » hier soir s’appelle Antas, Vénérable Guerrier. Vous rappelez-vous comment nous étions assis ?

Je fis un effort pour me souvenir. En vain. Avec un soupir, Keekaï trempa l’index dans son kavage et se mit à dessiner un croquis sur le bois de la table tout en parlant.

— Les quatre Anciens assis au niveau inférieur sont les Vénérables. Chaque caste – les guerriers, les bardes, les prêtres guerriers et les theas – désigne le sien.

Soudain intriguée, je m’empressai d’avaler ma bouchée pour demander :

— Comment faites-vous pour désigner vos Anciens et vos Vénérables puisque vous ne comptez pas les années ?

Keekaï me fixa en fronçant les sourcils, comme si elle ne comprenait pas ma question.

— On ne devient pas Ancien parce que l’on est vieux, expliqua-t-elle enfin. On le devient parce qu’on est le meilleur ou parce qu’on a su se rendre populaire dans sa caste. Il en va de même pour les Vénérables.

Sur le bois de la table, elle dessina quatre cercles alignés et reprit son explication.

— Les Vénérables se tiennent ici, au plus près de la terre et des flammes.

Après avoir dessiné derrière les quatre premiers une rangée plus longue de plus petits cercles, elle ajouta :

— Au deuxième niveau prennent place les Anciens de rang immédiatement inférieur, dont je fais partie. Nous occupons une place intermédiaire entre les quatre Éléments. Le Feu et la Terre devant nous, l’Air et l’Eau derrière.

De nouveau, elle traça en demi-cercle un alignement de points et conclut :

— Sur le troisième gradin se tiennent les Anciens les plus nombreux et les plus récemment nommés, les plus proches de l’Air et de l’Eau.

— Ainsi, dis-je en observant le croquis qui séchait sur la table, la place dans l’hémicycle correspond au statut. Plus on est haut, moins la place qu’on occupe dans la hiérarchie est élevée.

— Exactement. Comme je vous l’ai dit, les Vénérables sont au nombre de quatre. Antas est le Vénérable Guerrier. Essa est le Vénérable Barde. Vents Sauvages est le Vénérable Prêtre Guerrier. Reness, la Vénérable Thea, siège rarement parmi nous.

— Je me rappelle parfaitement Antas, dis-je avec une grimace. Et je ne risque pas de l’oublier.

— Il n’est qu’un pauvre fou, déclara Keekaï en haussant les épaules. Je vous ai dit que votre réputation nous était parvenue sur les ailes du vent. Lui n’a voulu retenir que le pire de ce que l’on dit de vous.

Tout en tapotant du bout du doigt sur la table le cercle qui représentait le Vénérable Guerrier, elle ajouta d’une voix songeuse :

— Son attitude à votre égard m’a tout de même surprise. Je me serais davantage attendue que Vents Sauvages se conduise ainsi.

Keekaï trempa de nouveau son doigt dans le kavage et compléta son croquis.

— Ceux qui comparaissent devant le Conseil doivent se tenir entre les fosses à feu. Les spectateurs, ou ceux qui attendent leur tour, restent derrière. Quant à ceux qui sont là pour servir les Anciens et veiller à la bonne marche du Conseil, ils se tiennent habituellement derrière les gradins.

Je trempai un nouveau bout de pain dans le plat de viande épicée, en veillant cette fois à en prendre une quantité limitée sur un plus gros morceau. Sachant à quoi m’attendre, je le mordis prudemment. La sauce m’enflamma la bouche, mais moins que la première fois. Et, à ma grande surprise, je trouvai sa saveur à mon goût.

Keekaï, qui m’avait regardée faire, rit gaiement et dit :

— Vous n’aurez pas eu le temps de vous en apercevoir que vous serez déjà des nôtres, Lara.

La sensation de brûlure due aux épices ayant atteint mon nez, j’inspirai profondément et demandai :

— Avez-vous eu des nouvelles de Keir ?

Keekaï secoua la tête.

— Il est trop tôt.

Après m’avoir adressé un regard affectueux, elle ajouta :

— Je suis sûre qu’il sera là dès qu’il le pourra, Lara. Mais même s’il arrivait aujourd’hui, ils vous empêcheraient de le voir.

Déçue, je baissai la tête sur ma nourriture et répondis, même si ce n’était pas le cas :

— Je comprends.

— À présent, reprit-elle, parlons des Anciens. Ceux…

Keekaï se tut et son regard dériva derrière moi.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

Je pivotai sur mon siège et découvris à l’entrée de la pièce une des guerrières au service de Keekaï.

— Une messagère du Conseil, répondit la femme.

Elle se tourna vers moi et ajouta dans un sourire :

— Pour la Captive.

— Ah ? fit Keekaï en haussant les sourcils. Fais-la entrer.

Je m’empressai de mâcher et d’avaler le dernier morceau de pain trempé dans la viande. Une jeune fille apparut, manifestement consciente de l’importance de sa mission. Elle nous fit face, grande, mince et sûre d’elle, et déclara après s’être inclinée :

— Jilla de l’Ours vous salue. Je suis porteuse d’un message pour Xylara, Fille du Sang de la Maison de Xy, de la part du Conseil des Anciens de la Grande Prairie.

Keekaï me désigna d’un geste.

— Je suis Xylara, dis-je après m’être éclairci la voix. Tu peux délivrer ton message.

Jilla acquiesça d’un hochement de tête et s’exécuta.

— Fille de Xy, les Anciens m’ont chargée de vous demander si vous seriez prête à assister à un senel du Conseil cet après-midi.

À mon coup d’œil interrogateur, Keekaï répondit :

— Comme vous voulez. C’est vous qui décidez.

— Jilla de l’Ours, dis-je, tu peux informer le Conseil des Anciens que j’assisterai à son senel.

Jilla hocha une nouvelle fois la tête et précisa :

— Le Conseil tient à ce que vous sachiez qu’à cette occasion, toutes les marques de courtoisie qui vous sont dues seront respectées. Une escorte viendra vous chercher dès que le Conseil sera de nouveau réuni.

Je la remerciai en m’inclinant légèrement, et un instant plus tard, elle s’éclipsa.

— Intéressant… commenta Keekaï à mi-voix. Vous venez d’avoir droit à ce qui, de la part du Conseil, se rapproche le plus d’excuses officielles.

Je nous servis un nouveau kavage tout en réfléchissant à ce qui venait de se passer.

— Ils vont sans doute mettre à votre disposition une tente rien que pour vous, poursuivit Keekaï. Ainsi que des gardes pour assurer votre sécurité et veiller à votre confort. Une façon de vous honorer, mais également de nous séparer, ce qui ne sera pas pour déplaire à Antas.

Elle hésita un instant avant de suggérer :

— Si vous voulez, nous pouvons remettre à plus tard cette entrevue, prétexter par exemple que vous êtes encore trop fatiguée pour paraître devant eux.

— Non, décidai-je en secouant catégoriquement la tête. Je veux qu’on en termine au plus vite. À présent, s’il vous plaît, aidez-moi à me rappeler les accusations lancées contre moi par Antas. Ensuite, vous m’en direz davantage sur les membres du Conseil.

 

— Bienvenue au Cœur des Plaines, Xylara, Fille du Sang de la Maison de Xy.

En réponse à cet accueil, je hochai légèrement la tête, témoignant aux Anciens le respect qui leur était dû, mais pas plus. Cette fois, c’était le Vénérable Barde Essa, assis entre Antas et Vents Sauvages, qui m’avait accueillie à mon arrivée dans la tente du Conseil.

Antas, en cuirasse et armé comme s’il s’apprêtait à partir au combat, était assurément impressionnant à regarder. Plus impressionnante encore était la mine sombre et féroce plaquée en permanence sur son visage.

Vents Sauvages, quant à lui, affichait une expression neutre et impassible, comme si ma comparution devant eux n’avait rien que de très ordinaire. Il gardait les bras croisés sur sa poitrine tatouée, et je pris note mentalement du motif qu’il portait au-dessus de l’œil gauche, bien décidée à le retenir.

Dans ma robe rouge incendie et mes mules assorties, je me présentais à eux avec beaucoup plus d’assurance que la veille. J’avais passé les bracelets d’argent à mes poignets et déposé quelques gouttes de mon précieux extrait de vanille entre mes seins. Je portais mes cheveux longs nattés dans le dos, et même si la bandoulière de ma sacoche de premiers secours empêchait la robe de tomber au mieux, je n’avais pu me résoudre à m’en séparer. À ma façon, j’étais moi aussi armée et prête à me battre, et les remous dans l’assistance qu’avait suscités mon arrivée dans la tente n’avaient fait que renforcer ma détermination. J’étais prête à tout pour faire triompher ma cause.

— Soyez la bienvenue, reprit Essa. Nous vous offrons la chaleur de notre tente et un siège pour vous reposer.

Les dimensions du chapiteau étaient beaucoup plus imposantes que je ne l’avais cru la veille. Le sol, parfaitement circulaire, en était entièrement dallé. Je me tenais entre deux fosses à feu dans lesquelles rougeoyait une braise qui dégageait une douce chaleur. Quelques braseros juchés des trépieds, ainsi que des torches éclairaient la tente.

Les trois Vénérables étaient assis devant moi sur une estrade basse en bois. Sur les gradins derrière eux avaient pris place les Anciens au grand complet. En conséquence, tout le Conseil confortablement installé avait sur moi une vue plongeante qui n’était pas faite pour me mettre à l’aise.

Un guerrier surgi de derrière les gradins vint placer entre les deux fosses à feu un petit banc de bois. Je m’y installai en plaçant à mes pieds ma sacoche, puis, une fois assise, disposai soigneusement autour de mes jambes les plis de ma jupe.

— Xylara, poursuivit Essa, laissez-nous vous offrir de quoi vous restaurer.

Deux autres guerriers, l’un porteur d’une table basse, l’autre d’un plateau, s’approchèrent. Comme le voulait la tradition, on me versa de l’eau sur les mains et on laissa à ma disposition du kavage et du gurt.

— Je vous remercie de votre hospitalité, dis-je en me versant une timbale de kavage.

Je parvins à la porter à mes lèvres sans trembler. Même si l’odeur de vanille parvenait à me réconforter, j’étais tendue et sur mes gardes. Le Conseil avait prouvé qu’il n’hésiterait pas à profiter du moindre instant de faiblesse pour m’attaquer. Une trêve semblait avoir été décidée, mais les hostilités n’avaient pas pour autant cessé.

Keekaï m’avait décrit un peu plus tôt tous ceux qui se trouvaient devant moi, mais tout se mélangeait à présent dans ma tête. Discrètement, je pris une ample inspiration et m’efforçai de me calmer. Dire que je m’étais imaginé qu’il n’y avait rien de plus difficile que d’affronter les membres du Conseil royal de Xy !

— Xylara, Fille du Sang de la Maison de Xy, reine de Xy, Keir du Tigre, Seigneur de Guerre de la Grande Prairie, vous a revendiquée comme sa Captive.

Les paroles qu’Essa déclamait d’une voix solennelle ne me semblaient pas totalement inconnues.

— Il vous a amenée dans la Grande Prairie afin que vous soyez conduite au Cœur des Plaines pour y faire reconnaître votre statut de Captive.

Je me détendis en reconnaissant les formules récitées par Keekaï avant notre départ pour le Cœur des Plaines.

— Xylara, avez-vous accepté quoi que ce soit des mains de quelqu’un d’autre que Keir du Tigre au cours de ce voyage ?

— Non, répondis-je à voix haute et claire. Mon Seigneur de Guerre a pourvu personnellement à tous mes besoins.

Mes paroles provoquèrent l’indignation de l’assemblée. Essa haussa un sourcil et dit :

— Keir du Tigre n’est pas encore officiellement votre Seigneur de Guerre, Fille du Sang de la Maison de Xy.

— De votre point de vue sans doute, dis-je sans me laisser troubler. Mais pas du mien.

Antas grogna de rage, se dressa d’un bond et fit cliqueter son armure en levant les bras au ciel.

— Elle n’a aucune considération pour nos usages ! s’écria-t-il. Elle n’a fait qu’apporter la mort et…

— Assez ! riposta Essa à côté de lui. Finissons-en d’abord avec le rituel avant de passer à la discussion.

Mécontent, Antas se rassit, plus renfrogné que jamais.

— Xylara, reprit Essa, souhaitez-vous regagner votre pays, retrouver les bras de ceux qui vous sont chers et l’affection de votre peuple ?

Il marqua une pause et me fixa avec intensité avant d’ajouter :

— Les liens qui vous attachent à votre tribu doivent être aussi puissants que le sont les nôtres. Nul ne peut vous contraindre à choisir. Votre décision vous appartient entièrement. Parlez, et il en sera fait selon votre souhait.

Une fois encore, je dus résister à la tentation. Rentrer chez moi, retrouver la sécurité des murs épais et tout ce qui m’était familier, la cuisine d’Anna, les bras d’Othur et les taquineries de Heath, Kalisa et ses fromages, au marché, la boutique de Remn, le libraire…

Mais le coût de ce rêve de tranquillité et de confort était trop élevé, puisqu’il me priverait de l’homme que j’aimais.

— Je suis venue jusqu’ici et j’y reste, déclarai-je en redressant fièrement le menton, pour prendre ma place de Captive auprès de mon Seigneur de Guerre.

Il n’en fallut pas davantage pour faire bondir de nouveau Antas sur ses pieds.

— Vous avez amené avec vous la mort et le chaos ! lança-t-il avec véhémence. L’armée placée sous les ordres de Keir du Tigre a été décimée par votre faute.

— Nous n’en savons rien, corrigea tranquillement Essa en se rasseyant sur son siège. Ce ne sont que murmures portés par les ailes du vent.

Antas chercha un allié en la personne de Vents Sauvages.

— Et vous, prêtre guerrier ? Qu’en dites-vous ?

— J’en dis que j’aimerais entendre les vérités de Xylara, répondit-il d’une voix surprenante de douceur.

La veille, épuisée comme je l’étais, je n’avais pas prêté attention à grand-chose, aussi profitai-je de l’occasion qui m’était fournie pour l’étudier attentivement. Il avait la même apparence effrayante que ses congénères. De grande taille, il ne portait rien d’autre qu’un pantalon et une cape. Son torse et son visage étaient couverts de tatouages rituels. Trois crânes humains attachés par des lacets de cuir ornés de plumes pendaient au bout du long bâton qu’il tenait à la main. Ses cheveux noirs nattés en tresses épaisses tombaient jusqu’à sa taille. Ses yeux sombres m’étudiaient avec une attention égale à celle que je lui portais, mais je n’y découvrais aucune hostilité… et aucune indulgence non plus.

— Que sait-elle de la vérité ? grogna Antas avec mépris. Les citadins n’ont que mensonge à la bouche !

— C’est faux ! m’écriai-je, hors de moi. Les citadins accordent autant d’importance à la vérité que vous !

— Ah ah ! cria Antas, me faisant sursauter. C’est ce que nous allons voir ! Vous avez menti à l’un des nôtres. Cela, nous le savons. N’essayez pas de le nier !

Les poings serrés, je tentai de lui river son clou, nullement impressionnée par les armes qu’il portait.

— Je n’ai pas menti ! Je n’ai peut-être pas dit toute la vérité, mais je n’ai pas…

— Vous avez menti ! coupa-t-il avec véhémence. Elle nous le dira elle-même, celle à qui vous avez débité vos mensonges, quand elle comparaîtra devant nous pour nous dire ses vérités.

Elle ? J’en restai bouche bée. Ce n’était donc pas à Keir, à qui j’avais révélé tardivement la durée de la quarantaine, qu’il faisait allusion ?

— Vos prétendus dons de guérisseuse… poursuivit-il avec mépris. En vérité, vous avez menti à une guerrière de la Grande Prairie, afin de la tromper et de pouvoir utiliser votre magie sur sa jambe !

Était-il en train de me parler d’Atira ? J’avais soigné sa jambe fracturée à la suite d’une chute de cheval alors que nous nous trouvions encore dans le camp de Keir, au royaume de Xy. Mais j’avais beau fouiller ma mémoire, je ne me rappelais pas lui avoir menti. Je m’apprêtais à ouvrir la bouche pour protester de nouveau de mon innocence lorsqu’une évidence m’apparut, que je formulai aussitôt.

— Vous voulez dire qu’Atira est ici ?

Ce fut Essa qui prit la parole pour me répondre.

— Le Conseil a convoqué ceux dont les vérités doivent être connues pour statuer sur cette affaire, déclara-t-il calmement. D’autres ont demandé à être entendus. Mais ce sont vos vérités qu’il nous importe de recueillir en premier. Ensuite, nous vous poserons quelques questions. Parlez, vous serez écoutée.

Se tournant vers Antas, il ajouta sèchement :

— Sans interruption intempestive !

L’Ancien se rassit en grognant de mécontentement.

— Parlez, Fille du Sang du la Maison de Xy, demanda à son tour Vents Sauvages. Dites-nous vos vérités, depuis le commencement.

Après avoir pris une profonde inspiration, je me lançai.

Mon récit dura des heures. Du moins, c’est ce qu’il me sembla. Devoir faire face aux Vénérables et aux Anciens me vida de toute énergie. Antas réussit l’exploit de rester calme et silencieux, même si son regard me transperçait. Dans la fraîcheur de ce chapiteau, devant ces spectateurs attentifs qui guettaient la moindre faute, je luttai pour trouver les mots capables d’exprimer ce que je ressentais pour Keir.

Chaque fois que je regardais en direction de Keekaï, je lisais dans son regard un soutien sans faille. Et à travers elle, c’étaient les yeux emplis d’amour de Keir qu’il me semblait voir, le visage farouchement protecteur de Marcus, l’amitié de tous les Firelandais auxquels je m’étais si vite attachée. Ma vérité n’avait peut-être pas la beauté et la force de celle d’un barde, mais c’était ma vérité. Je parlai donc sans me retenir. Je leur dis tout, depuis le début et jusqu’aux moindres détails de la chasse à l’ehat.

Quand je me tus enfin, Essa se leva et dit :

— La courtoisie exige que nous prenions en compte les besoins de la fille de Xy et nos propres besoins.

Il tapa deux fois dans ses mains, et un flot de guerriers envahit la piste dallée. On m’offrit l’eau rituelle pour mes mains, puis un repas chaud arrosé de kavage. Tout le monde but et mangea autour de moi, puis les uns et les autres s’étirèrent et sortirent pour satisfaire à d’autres nécessités.

L’assemblée d’Anciens et de Vénérables commençait à se regrouper lorsqu’un prêtre guerrier fit son entrée sans saluer personne et alla parler à Vents Sauvages. Comme il me semblait familier, j’examinai le tatouage de son arcade sourcilière gauche. À n’en pas douter, il s’agissait de l’âme damnée d’Iften, le prêtre guerrier qui avait « soigné » son bras. Comment Keekaï avait-elle dit qu’il s’appelait ? Malgré ma lassitude, je réussis à retrouver son nom dans ma mémoire. Graine de Tempête !

Mon cœur se mit à battre plus fort. Nous l’avions laissé au camp provisoire, en compagnie de Keir. Sa présence ici signifiait-elle que mon Seigneur de Guerre était aussi arrivé ?

La tête penchée sur le côté, Vents Sauvages écouta quelques instants Graine de Tempête avant de le congédier d’un geste de la main. Celui-ci s’éclipsa, non sans m’avoir gratifiée au passage d’un regard noir.

Vents Sauvages s’approcha d’Essa, et Antas se joignit à eux. Un grand silence se fit dans la salle tandis que tous trois discutaient avec animation.

Prête à affronter l’interrogatoire qu’on m’avait annoncé, je me rassis et attendis qu’ils aient terminé leur aparté. En mon for intérieur, je n’en menais pas large, même si je parvenais encore à n’en rien montrer. Pour me donner une contenance, j’arrangeai soigneusement les plis de ma jupe et croisai les mains sur mes genoux.

Discrètement, je m’arrangeai pour glisser un regard interrogateur en direction de Keekaï, qui me répondit d’un haussement d’épaules perplexe.

Enfin, les trois Vénérables parurent arriver à un accord. Du moins Essa et Vents Sauvages donnèrent-ils cette impression. Antas, lui, semblait toujours aussi furieux et impatient d’en découdre.

Se tournant vers les Anciens, Essa annonça d’une voix forte :

— Ceux qui ont été convoqués pour parler devant cette assemblée sont arrivés. Nous entendrons leurs vérités avant de poser nos questions à Xylara.

Cette nouvelle parut semer le trouble dans les rangs des Anciens, mais, le premier instant de surprise passé, nombre d’entre eux se mirent à hocher la tête pour signifier leur accord.

Satisfait, Essa se rapprocha de moi pour m’expliquer :

— Xylara, le Conseil met à votre disposition une tente pour votre propre usage, ainsi qu’une enfant pour vous servir.

Tout en adressant à Antas un regard lourd de sens, il ajouta :

— Vous êtes à présent sous la protection du Conseil des Anciens. Vous serez entourée en permanence de gardes armés qui veilleront à votre sécurité.

Exactement ce que Keekaï avait prédit… Je me levai, remis ma sacoche en place et le saluai en inclinant le buste.

— Je vous remercie, Vénérable Barde.

— Vous pouvez vous rendre où vous voulez, mais il ne vous sera pas permis de voir Keir du Tigre. C’est compris ?

— Je comprends, affirmai-je, bien que ce ne fût pas le cas.

Quatre jeunes prêtres guerriers surgirent alors de nulle part et vinrent m’entourer. Mes nouveaux gardes du corps…

Tandis que nous nous dirigions vers la sortie, j’entendis Essa déclarer :

— Ce senel est terminé.

Les étoiles brillaient dans un ciel presque noir quand nous sortîmes du chapiteau. Je bâillai à m’en décrocher la mâchoire en suivant mes gardes vers mes nouveaux quartiers. La tente qu’on m’avait réservée n’était pas très éloignée du chapiteau du Conseil – ce dont j’étais soulagée – et me parut un peu plus petite que celle de Keekaï. Mais, du moment qu’elle comportait un lit, elle m’irait parfaitement.

La porte de toile s’entrouvrit à notre approche, et une jeune femme sortit pour m’accueillir. Elle portait ses cheveux châtains nattés dans le dos, et ses yeux noisette m’inspirèrent tout de suite confiance.

— Salutations, Fille de Xy.

Pendant qu’elle retenait la porte pour moi, je pénétrai dans la tente et débouchai dans un petit salon de réception assez semblable à celui de la tente que Simus avait occupée lors du siège de Fort-Cascade. On avait apporté mes bagages, qui avaient été empilés sur le côté.

— Mon nom est Amyu du Cochon, m’annonça la jeune femme, qui m’avait suivie.

J’étais soulagée d’être servie par elle plutôt que par cette enfant dont m’avait parlé Essa. D’un geste, elle m’invita à prendre place à table.

— Je suis chargée de vous servir tant que le Conseil débattra de votre statut. Puis-je vous apporter à manger ? un peu de kavage ?

En soupirant, je fis glisser la bandoulière de ma sacoche par-dessus ma tête.

— Amyu, dis-je gentiment, ce n’est pas pour t’offenser, mais je préfère faire un brin de toilette et me coucher.

Hochant la tête, elle m’entraîna au fond du salon et souleva une autre porte de toile en annonçant :

— Voici votre chambre.

Je passai la tête dans l’ouverture pour jeter un coup d’œil dans la pièce et étouffai un cri de surprise en reconnaissant la luxueuse literie et la petite lampe dodue posée sur la table de chevet.

— Est-ce le lit qui se trouvait dans la tente de Keekaï ?

Amyu acquiesça d’un hochement de tête.

— Elle a proposé de le faire installer ici, et le Conseil a donné son accord. Tout ceci vous a été offert pour votre usage personnel, Fille de Xy.

— S’il te plaît, Amyu, appelle-moi Lara.

Je fis taire ses protestations d’une main dressée devant moi et ajoutai :

— Du moins, tant que nous sommes seules dans la tente.

J’allai jusqu’au lit pour y déposer ma sacoche.

— Comme il vous plaira, murmura Amyu en vérifiant que le brasero placé dans le coin brûlait toujours. Le lac n’est pas loin, si vous souhaitez vous baigner.

Je ne pus réprimer un profond soupir.

— Non, répondis-je. Mais pourrais-tu m’apporter un baquet d’eau chaude et des linges propres ?

Elle me dévisagea un instant avec stupéfaction.

— Comme il vous plaira, murmura-t-elle de nouveau.

Après s’être inclinée vers moi, elle s’éclipsa avant que j’aie pu lui expliquer quoi que ce soit – ce qui n’était pas pour me gêner. Je savais par expérience que, pour les Firelandais, la pudeur xyiane n’avait aucun sens.

Soulagée de voir cette journée prendre fin, j’allai m’asseoir sur le lit, ôtai mes mules et commençai à me masser les pieds. Les effets de notre chevauchée à travers la Grande Prairie continuaient à se faire sentir. Mais si mon corps était las, mon esprit, lui, s’agitait en tous sens.

Keir était-il ici, au Cœur des Plaines, non loin de moi ? Oh, comme je l’espérais ! Comme je désirais que cette séparation s’achève pour me retrouver dans ses bras !

Des éclats de voix, à l’extérieur, vinrent me tirer de mes pensées.

— Hors de mon chemin ! Lara est là-dedans, et je dois la voir !

D’autres voix s’élevèrent pour protester. Je relevai la porte de ma chambre, juste à temps pour voir un gros homme noir à la stature imposante se frayer de force un chemin jusque dans ma tente.

Un large sourire fendait déjà mon visage lorsque nos regards se croisèrent. Le sien fit éclater la blancheur de ses dents sur le fond noir de sa peau.

— Petite guérisseuse ! lança-t-il en se ruant vers moi.

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